Un tournage en toute discrétion pour le cinéaste chinois Lou Ye
AFP/Marianne BARRIAUX
Le cinéaste chinois Lou Ye a bravé l'interdiction de tournage dont il est l'objet dans son pays pour réaliser, dans l'est de la Chine, "Nuits d'ivresse printanière", un film sur l'homosexualité, présenté en compétition jeudi au Festival de Cannes.
L'évocation, en toile de fond d'une histoire d'amour, des manifestations étudiantes de Tiananmen de 1989, un sujet tabou, et de nombreuses scènes de sexe avaient scellé son sort.
L'Administration d'Etat chargée de l'audiovisuel et du cinéma en Chine avait évoqué un problème de qualité de la copie pour ne pas accepter sa présence à Cannes.
Cette fois, il présentera "Nuits d'ivresse printanière", un film tourné discrètement en deux mois dans la ville de Nankin avec une petite caméra et trois acteurs impliqués dans un trio amoureux.
Selon Nai An, sa fidèle productrice, également frappée par une interdiction de cinq ans pour le précédent de Cannes, le fait que "Nuits d'ivresse printanière" ait été filmé discrètement n'a rien à voir avec l'interdiction, mais plutôt avec la manière de travailler de Lou.
Elle s'inquiète des nouveaux problèmes que peut entraîner cette nouvelle bravade de Lou Ye, tout en assurant ne pas vouloir créer la polémique.
"Mais ce que nous voulons, c'est faire des films, nous ne voulons pas créer de problèmes", assure-t-elle à l'AFP.
Cependant, le fait que "Nuits d'ivresse printanière" traite de l'homosexualité, un sujet encore largement tabou en Chine, et que Lou Ye ait bravé l'interdiction pourrait bien lui en causer.
Chen Sicheng, l'un des acteurs du film, pense que le film sera interdit en Chine. Il reconnaît également que lui-même pourrait avoir des ennuis. Mais, dit-il, le tournage, au printemps 2008 en Chine, s'est pourtant passé sans problèmes, sans aucune interférence des autorités.
Le troisième film de Lou Ye à concourir à Cannes pour la Palme d'or a été financé par des investisseurs français et hongkongais. Et il sera présenté en France comme une oeuvre franco-hongkongaise.
Selon Chen, travailler pour Lou, un réalisateur respecté malgré ses ennuis avec les autorités, vaut tous les risques.
"C'est un pionnier et il a le courage d'aller à contre-courant", explique l'acteur de 31 ans à l'AFP.
Dès ses débuts, Lou a connu la controverse. Son premier film, en 1993, avait été interdit pendant deux ans. Après "Suzhou River" en 2000, une histoire d'amour tragique, il n'avait pas pu travailler pendant deux ans.
Seul moment de répit en 2003 avec "Purple Butterfly" (2003), dans lequel jouait la célèbre actrice Zhang Ziyi.
"La censure en Chine doit changer, pour le moins il faudrait se débarrasser de cette disposition permettant l'interdiction de tournage", juge Nai An, persuadée que des cinéastes comme Lou permettront de faire évoluer la situation.
"On a besoin de gens comme ça", dit-elle.
"L'industrie du film est de plus en plus commerciale, mais personne ne veut changer cela ou expérimenter", poursuit-elle.
L'Administration d'Etat chargée de l'audiovisuel et du cinéma en Chine n'a pas répondu aux questions de l'AFP, sur le sujet, adressées par fax.