Mohamed Rachdi: Les Rosaces du désir
Hdhod
La galerie Nadar présente, pour la première fois à Casablanca, Les Rosaces du désir de Mohamed Rachdi, exposition qui marque le retour de l’artiste dans son pays.
Mohamed Rachdi
Soucieux de la qualité technique et artistique de ce qu’il produit, le plasticien développe une recherche inventive, exigeante et toujours accompagnée d’une réflexion rigoureuse. La démarche de Mohamed Rachdi explore l’importance de la mémoire dans l’activité créatrice!; dans sa triple dimension du rappel, de l’oubli et de l’invention et ce dans l’articulation constante de la mémoire individuelle et collective.
Interrogeant la relation qu’il entretient foncièrement à son lieu de provenance, le jardin de son enfance et adolescence, son oasis natale, il aboutit à une oeuvre singulière qui met sans cesse en jeu les figures de l’origine, du jardin et du désir. «Parce que, dit-il, je sais que le retour à — mais pas le retour de — l’autrefois, au paysage de mon enfance, demeure impossible, toutes ces figures prennent pour moi valeur du féminin dans sa dimension d’altérité inaliénable, dans sa puissance insaisissable, dans sa qualité de porteur d’un infini ressourcement de mes élans créatifs, dans son intensité du support de mes projections désirantes…»
Les oeuvres de Mohamed Rachdi oscillent entre dessin, peinture et sculpture. Les formes autant abstraites que figuratives que l’artiste développe se contaminent, se prolongent les unes dans les autres, se trament et se ramifient en un réseau graphique et chromatique qui impose sa structure en
entrelacs du désir. Derrière la profusion des formes, l’hétérogénéité desmatériaux, la multiplicité des techniques et la diversité des références, la démarche de Mohamed Rachdi se développe selon une logique implacable et une grande cohérence. Tout, chez lui, finit toujours par évoquer des étendues
jardinières où s’enchevêtrent figures corporelles et motifs végétaux.
Étendues jardinières à travers lesquelles il est possible autant de voir laréalité que de rêver… parce que constamment animées par le souffle d’Eros.
Entretien avec Mohamed Rachdi autour de son exposition Les Rosaces du désir
Pourquoi avoir choisi le titre «!Les Rosaces du désir!»!?
Les Rosaces du désir est une suite naturelle d’un travail sur les plaisirs du jardin et du désir amoureux que je ne cesse de développer depuis plus 20 ans. En déployant un ensemble d’oeuvres qui épousent toutes des formats circulaires, je ne fais au fond que continuer à rouler les «O» qui circulent déjà dans mes oeuvres depuis longtemps et notamment dans mon installation intitulée OOO Les Puits du désir (dispositif d’installation monté en été 2006 à l’église Notre-Dame de Montataire en France).
À mon retour au pays, je me suis interrogé sur la manière de poursuivre la culture de mes propres jardins plastiques. J’ai regardé à nouveaux nos arts traditionnels et les différentes pratiques artisanales.
Les rosaces me viennent du travail de la décoration, ce que l’on appelle attawriq ou attashjir (la mise en arbre) que développent nos maîtres artisans du plâtre, du zellij, du tissage, de la broderie…
En exploitant une variété de matériaux (plâtre, céramique, métal, bois, tissu…), en articulant une multiplicité de références culturelles et de formes artistiques et en usant d’un large éventail d’outils et techniques y compris les nouvelles technologies, j’essaie d’élaborer un langage plastique qui me soit
personnel.
Je m’évertue à faire de mes constructions des lieux où éclatent des fictions, où interfèrent des figures du jardin et du désir dans un entrelacement plastique subtil et une poétique fertile. Il s’agit d’un véritable hymne au plaisir et à l’amour, un hommage aux couples amoureux aussi bien réels que mythiques. Ce que reflète le titre de mon exposition à la galerie Nadar.
" Comment le désir s’exprime-t-il à travers ces rosaces!?
Comme vous le savez, j’aime la noblesse du décoratif. Aussi, à travers mes rosaces, je cultive volontiers la délicatesse de l’ornemental afin d’en faire de véritables jardins où s’attirent et s’étreignent, au sein des structures d’enchevêtrement végétal, des figures du désir, des couples aussi bien légendaires que réels.
Ceux qui habitent notre imaginaire comme ceux qui évoluent dans notre quotidien, ainsi que sur nos écrans de télévision, cinéma et Internet, sur nos journaux, revues et magazines… Bref, nous-mêmes aussi bien que nos doubles imaginaires, ce que nous désirons être.
Dans mon activité créatrice, à travers mes tâtonnements et mes trouvailles, mes certitudes et mes doutes, ma quête de jouissance reste vive et ouverte sur tous les possibles, sur l’infini poétique. Ce n’est qu’en créant que je prends vraiment conscience de la puissante fragilité de mon être, en
permanente poursuite de son ombre toujours fuyante.
Elles sont extraites de l’univers littéraire et de l’histoire de l’art, non sans les faire passer au filtre de l’activité créatrice, par de multiple procédures techniques et plastiques (sélection, numérisation, schématisation, détourage, découpage, projection, report, collage, assemblage, gravure,
sculpture, couture, broderie…).
Ainsi, ces figures opèrent un véritable voyage mnésique. Elles se métamorphosent en ne gardant de
leur origine qu’une vague mémoire.
Tout en préservant un lien avec d’où elles proviennent, elles deviennent alors tout autres dans mes propresoeuvres.
J’aimerais que les visiteurs des Rosaces du désir puissent y contempler — et pourquoi pas s’y
identifier du fait que tout détail distinctif y est éliminé!? — des silhouettes du couple du Jardin
Primordial, Adam et Ève!; mais aussi de ceux qui enchantent nos jardins poétiques, tels Tristan et Iseult, Madjnoun et Laïla, Roméo et Juliette…!; ou encore ceux des jardins de la mythologie antique, tels Léda et le Cygne, Vénus et Adonis…!; sans oublier, bien sûr, ceux qui continuent toujours et encore à tisser des entrelacs du désir dans la vie quotidienne, nos ruelles, restaurants, parcs et
jardins…
Une part importante de l’art contemporain se veut critique et cherche à interroger le fonctionnement de la société, les enjeux économiques, politiques... Ne pensez-vous pas que votre art est en déphasage avec cet esprit!?
En tant qu’artiste praticien — et non en tant que théoricien, critique et chercheur en art qui se doit d’étudier la diversité des propositions artistiques —, je tourne le dos à ce qui pointe la dimension dramatique et tragique de la vie, sa face de cruauté. Je préfère un art du jardin et de l’enchantement, un art optimiste qui célèbre la face joyeuse de la vie, la beauté et le jeu, le plaisir et le bonheur. Sans doute, s’agit-il d’une question de tempérament. J’aime, en effet, développer cet art qui, dans le désert de l’existence, travaille à faire pousser des oasis du délice pour continuer à cultiver le désir amoureux. Mais, ne peut-on pas voir aussi, dans cette attitude créatrice qui prône un art de liberté et du plaisir, du désir et de jouissance, une autre manière d’intervenir souterrainement sur des questions sociales et politiques!?
L’oeuvre la plus révolutionnaire de Picasso n’est pas Guernica (1937) qui traite un thème politique, mais Les Demoiselles d’Avignon réalisée 30 années auparavant, oeuvre dont la thématique tourne autour du désir et du plaisir et qui a disloqué radicalement le système de représentation développé en
Occident des siècles durant.
Les oeuvres qui révolutionnent profondément nos esprits ne sont pas forcément celles qui s’affichent critiques et dénonciatrices des dysfonctionnements sociaux, économiques et politiques, mais assurément celles qui, en s’interrogeant sur leurs propres moyens d’énonciation, savent agir poétiquement sur le socle de notre être. Celles qui manipulent avec
délicatesse notre langage, notre mémoire et notre imaginaire, nos références culturelles et préférences esthétiques. Celles, en fin du compte, qui savent nous métamorphoser subtilement à partir de nos profondeurs les plus intimes, à l’origine de nos élans vitaux, aux racines même de nos pulsions désirantes…
" Entretien réalisé par Laïla Faraoui, directrice de la galerie Nadar
Mohamed Rachdi a réalisé de nombreuses expositions sur la thématique de l’oasis et du désir avec
des titres toujours poétiques comme Les Dunes du désir!à la galerie d’art contemporain du Centre Culturel François-Mitterrand de Beauvais (France), Le Sommeil du poète a m o u r e u x à la galerie d’art contemporain à Chauny (France) ou encore Les Puits du désir à L’église Notre-Dame de Montataire (France).
" «Partout l’!«O» circule dans cette OEuvre (…), partout des Ouvertures s’y Organisent en échO à l’«O» de l’Origine — de l’Origine du monde de Gustave C o u r b e t a u s s i b i e n , naturellement!!!—!; en écho à l’!«O» — mais aussi à «!l’EAU!», bien sûr, à ce flux de vie et de régénérescence — de l’Oasis primordiale!; en échO à l’«O» de la circonférence de l’OEil du puits qui invite le regard du visiteur à plonger à travers l’Orifice de son volume cylindrique (tout à la fois creux et reliefs)
ouvrant sur l’abîme sans fond de l’altérité, sur ce qui me hante depuis toujours et me fait agir, sur le mirage insaisissable en moi et en l’autre…!; mais aussi, en échO au cri du «O» du Où en quête permanente de son éternel lieu atopique à travers des étendues utopiques…![…]!Origine, Oasis et Femme ont toujours habité mes oeuvres. Ces figures, constamment présentes mais sans cesse fuyantes, se chevauchent en effet et interfèrent continuellement dans mon activité artistique. Elles en représentent tout à la
fois le motif et le moteur, la référence et l’énergie qui l’anime dans l’errance de ses investigations créatrices…!»
(Extrait du livre OOO Les Puits du désir, Mohamed Rachdi & Co, éditions le-RARE, 2006, p.
10.)
Ils sont, dans leur complexité labyrinthique, des territoires où je tente de poursuivre la dynamique de mes désirs, le mirage de ma propre mémoire et de ses chevauchements imaginaires!; dans leur profusion référentielle, leur éparpillement et fragmentation, des morceaux de jardins aux clôtures poreuses où je me cherche à travers la pluralité de mes repères identitaires et leurs perpétuelles fluctuations, la diversité des altérités qui me traversent et leurs infinies ramifications.!»
(Extrait de «!Fabulations oasiennes!», article de Mohamed Rachdi publié dans le collectif Les
territoires de l’identité, Tariq Ragi et Sylvia Gerritsen (dir.), éd. L’Harmattan, Paris 1999, pp.
217-235.)
" «!Avec le temps, l’oasis natale, en tant qu’entrelacs mnésiques, se voit investie dans mon activité artistique d’une qualité érotique. Travaillée par la dynamique du désir, elle se métamorphose en figures féminines, se meut en mirages propices aux projections imaginaires, inventions et abulations…
Conduite ainsi entre références mnésiques et errances créatrices, mon oeuvre s’avère alors un lieu d’interférences des figures de l’origine, laquelle si elle demeure à jamais insaisissable, confère sens et consistance à ma démarche créatrice…!»
(Extrait de «!Au sein de Notre-Dame de Montataire!: OOO les Puits du désir!», article publié dans la revue Recherches en Esthétique, n° 13 octobre 2007, thème La relation au lieu, p.138.)